Toutefois, elle se mit à grandir et grossir, au point de devenir une bête aussi énorme que dangereuse : un dragon. Un jour, ce dragon finit par sortir du puits et partit à la recherche d'un logis ; il s'installa sur la colline de Lambton où, à en croire certains, il devint si grand qu'il pouvait s'enrouler trois fois autour de la montagne. Il sema la terreur dans tout le voisinage et dévora en quelques semaines presque tous les troupeaux de moutons et de vaches.
Le vieux seigneur de Lambton était désemparé ; il offrit à cette créature une auge emplie de lait, pour la rassasier. Quant à son fils, désormais repenti de ses jours de paresse, il était fort loin : il était parti en croisade combattre les mécréants. Plusieurs chevaliers tentèrent de vaincre le dragon, mais aucun ne survécut.
Alors que tout espoir semblait perdu, le fils Lambton revint. Il se dit que c'était son devoir de vaincre le dragon, puisque c'était lui qui l'avait tiré des eaux. Il alla prendre conseil auprès d'une femme avisée, qui lui conseilla de se parer d'une solide armure hérissée de tous côtés avant d'affronter le dragon. Elle lui annonça aussi que, s'il parvenait à tuer la bête, il devrait ensuite abattre le premier être vivant qu'il croiserait. Sinon, la lignée des Lambton serait maudite pendant neuf générations.
Le jeune homme pensa qu'il lui serait facile de s'arranger pour faire venir sur son chemin la créature de son choix, et il prêta serment avec joie. Il alla ensuite avertir son père que, dès qu'il aurait abattu le dragon, il soufflerait dans son cor. A ce signal, il suffirait de libérer un chien ; le jeune homme n'aurait plus qu'à l'abattre pour vaincre le sort sans faire de mal à personne.
Il alla trouver le dragon sur la colline et le combat commença. Lorsque le monstre serra le jeune chevalier contre lui, il fut transpercé de toute part par les fers de l'armure et mourut. Le garçon victorieux sonna le cor et se dirigea vers le château. Son père fut saisit d'une telle joie qu'il bondit vers lui sans songer à lâcher d'abord le chien. Il fallait dont que le chevalier abatte son père ; il ne put s'y résoudre, et la famille s'en trouva maudite pendant neuf générations.